Éditions Sorman

Depuis le confinement, sont apparus sur les chaussées des « coronapistes ». Leur balisage (plots et marquages jaunes) indiquait le caractère temporaire de ces aménagements destinés à favoriser les trajets domicile-travail à vélo. Depuis, certaines villes ont conservé ces tracés et quelque chose a changé dans la conception des aménagements de voirie. La perspective de tester provisoirement différentes solutions profite aux habitants (qui valident les améliorations proposées) et aux collectivités (qui bénéficient d’un consensus tout en contenant les investissements).
Conseil : les nouveaux aménagements devront maintenir l’accessibilité de la voirie. Des fiches élaborées par le Cerema* permettent d’intégrer cette dimension dans les projets d’urbanisme tactique.

Tester les améliorations auprès des habitants

En 2020, Le Rheu (Ille-et-Vilaine, 9 225 habitants) a profité des incitations à créer des coronapistes et du projet de réseau express vélo (REV) porté par Rennes Métropole, pour favoriser la continuité des déplacements à vélo jusque dans son centre bourg. « Nous nous sommes donnés trois mois pour tester, entre juillet et septembre 2020, à un moment où il y avait moins de circulation », précise Didier Gilbert, maire-adjoint en charge notamment de la sécurité. La mairie crée plusieurs sens unique dont un dans une voie centrale structurante, desservant les commerces. « Cela a été catastrophique car 6 000 véhicules/jour se sont reportés dans les petites voiries avoisinantes. Nous avons arrêté le test en trois jours », confie l’élu. Un constat qui ne sonne pourtant pas comme un échec. En testant in situ une nouvelle organisation de sa voirie, la mairie a pris conscience, au plus tôt, d’une difficulté qu’elle avait mal appréhendée : la congestion suscitée par la voie unique a incité les usagers à rechercher des itinéraires de contournement, au détriment de la tranquillité des secteurs résidentiels et de l’activité des commerçants.

Trouver des solutions alternatives

Plutôt que d’abandonner son projet de continuité cyclable, attendu par une partie des habitants (une dizaine de kilomètres sépare Le Rheu de Rennes et une gare située dans une commune limitrophe permet de s’y rendre à vélo), la municipalité a trouvé une autre solution, le « chaussidou », soit une chaussée à voie centrale banalisée (CVCB) caractérisée par une unique voie centrale pour les véhicules motorisés et deux couloirs cyclables de part et d’autre, sans séparation physique. Lorsque deux voiture se croisent, elles doivent mordre sur les couloirs latéraux, ce qui les contraint à réduire leur vitesse en fonction de la présence de cyclistes. « Nous avons rajouté trois « écluses » pour ralentir les voitures et gardé des places de parking », ajoute l’élu. Ainsi configurée, la traversée du bourg ne suscite plus aucune opposition. Les autres aménagements cyclables, qui avaient été testés au même moment dans les secteurs résidentiels, ont également été conservés sans avoir été remis en cause depuis deux ans. Toutes les catégories de la population y trouvent leur compte, avec un trafic des cyclistes accentué le week-end, pendant les vacances, et aux abords des écoles, et un apaisement global de la circulation. La commune n’a pas enregistré d’accident suite à ces aménagements et les relevés de ses radars pédagogiques sont encourageants : «Nous avons mesuré une vitesse moyenne de 20 km/h contre 35 km/h avant, et une disparition des excès de vitesse » , affirme Didier Gilbert.

Une économie de moyens

L’urbanisme tactique a permis à cette commune moyenne d’améliorer sa circulation à moindre coût, sans recourir à un bureau d’études. Pour deux kilomètres de voirie modifiés, dont 700 m en centre-bourg, Le Rheu a dépensé entre 20 000 et 30 000 €. Elle a financé des marquages à la peinture, des panneaux, des plots et quelques raccords de voirie sur de très courtes distances pour relier des voies cyclables et piétonnes (augmentant ainsi la densité du réseau de circulation non motorisée). Le succès de la démarche d’urbanisme tactique de Le Rheu (que n’ont pas connu des communes voisines) tient au service rendu : la voie cyclable dessert les équipements structurants de la commune, sans pénaliser les autres usagers. Elle repose également sur la concertation : deux réunions avec les commerçants, trois dans les quartiers concernés et un grande réunion publique. « Il faut savoir aussi faire marche arrière », ajoute l’élu.
*www.cerema.fr/fr/actualites/urbanisme-tactique-comment-garantir-maintenir-accessibilite

Jean-Philippe ARROUET le 24 janvier 2023 - n°2256 de La Lettre du Maire